Le dragon rouge
Etats-Unis 2002 - Réalisation : Brett Ratner. Avec Anthony
Hopkins, Edward Norton, Ralph Fiennes, Harvey Keitel, Emily Watson,
Mary-Louise Parker, Philip Seymour Hoffman…
Durée: 2H04. Int. - 16 ans.
Une histoire qui avait littéralement
séduit Sylvester Stalone, conquis une partie du lectorat mondial.
Un livre considéré comme inadaptable. Michael Man s'y
est frotté, ce fut Le sixième sens, un film qui
ressemble aux films de Michael Man : un grand réalisateur.
Puis vint le Silence des agneaux, une réussite totale,
la consécration pour la très jolie Jodie Foster, et
la composition remarquable d'Anthony Hopkins, un remarquable Hannibal
Lecter. On le suivra dans Hannibal, qui plus que tout annonçait
le grand retour de Ridley Scott au cinéma.
Alors pourquoi ce Dragon rouge
? Le souci économique sans doute. Un public gagné à
la cause du cannibale, un vieil ami aux dents longues, au goût
du sang prononcé.
Le casting, point faible du Sixième sens, réunit
l'ambivalent Edward Norton, le troublant Ralph Fiennes, l'inoubliable
Emily Watson, le méthodique Harvey Keitel, et bien sûr,
l'élégant Anthony Hopkins. Que des pointures !… dans
une chaussure trop étroite, une godasse bon marché.
Le pied étouffe, suffoque, la démarche devient maladroite,
pénible. L'affaire devient douloureuse, le public gémit,
il se plaint lui aussi. Pfff… quel gâchis !
C'est toujours pénible
à dire, on s'attend à une réussite, et puis c'est
la déception qui l'emporte. Le réalisateur, abonné
au plaisant Rush hour, et au très réussi Family
Man ne réussit pas à s'imposer dans le registre
noir, il compose, et à part la fin et le début, son
découpage ressemble étrangement à celui de Michael
Man. Quant à la relation métaphysique opposant le super
flic au tueur, elle est carrément inexistante. Les séquences
s'enchaînent, se délient, un beau travail sur l'espace,
pour une histoire qui réclamait tout le contraire : un univers
clos, opaque, oppressant. Bon, il reste ce beau dragon tatoué
sur le dos Ralph Fiennes, il nous rappelle celui De Niro dans Les
nerfs à vifs de Scorsese ; il nous rappelle aussi qu'on
a payé notre place 8 euros, et qu'à ce prix là
ça méritait mieux qu'un dessein peint sur le corps.
Le film devient juste sur la
fin : le gardien annonce à Lecter qu'une certaine Clarisse,
jeune apprentie du FBI, désire le rencontrer. C'est sûr,
la suite est meilleure, et déjà on se met à penser
au Silence des agneaux. Ce film n'est déjà plus
qu'un souvenir, un vague souvenir.
Christophe Lenoir
INSOMNIA
Etats-Unis. 2002 - Réalisation : Christopher Nolan. Avec :
Al Pacino, Robin Williams, Hilary Swank, Martin Donovan…
Durée: 2:00
Une robe blanche habille la
nuit, la recouvre. Les journées sont longues en Alaska, les
nuits sont dans l'œil d'Al Pacino (Dormer).
Le film s'ouvre avec des images étranges : une silhouette,
dos tournée, assise sur une chaise ; du sang qui s'épanche
sur des fibres ; des montagnes, et un avion déchirant le ciel.
Puis le visage de Dormer. Ah la gueule de Pacino, usée, marquée
; ce flic vient avec son passé dans ses valises.
Le meurtre d'une jeune fille amène Dormer et son partenaire
sur les terres froides et magnifiques du Grand Nord. Une petite ville
perdue dans la lumière du jour, des lueurs blanches qui aveugleront
définitivement Pacino. Il fait noir chez Dormer. Les ombres
traînent comme des spectres et voilent la vérité
: une brume opaque et un coup de feu, le coéquipier de Dormer
tombe d'un sommeil lourd, éternel. Pacino ne dormira plus.
A l'origine de cette confusion, cette silhouette, dos tournée,
Dormer. Flic jusqu'au bout des ongles, il juge et fabrique des preuves
pour accuser un tueur d'enfant ; l'inspection des services s'en mêle.
Dormer joue sa carrière, sa vie. Et son coéquipier lui
annonce qu'il collabore…Alors dans la brume, à la recherche
du tueur, Dormer loge une balle dans la poitrine de son partenaire,
il meurt. Accident ? Pacino fabrique encore, mais l'assassin (Robin
Williams) connaît la vérité : ils sont associés,
ils traînent tous deux sur cette étroite et fragile frontière
qui sépare le bien du mal. Passionnant.
Christopher Nolan s'est fait
connaître du public avec Mémento - un film roublard
qui ne reposait que sur une bonne idée, qui d'ailleurs s'essoufflait
plus le film avançait. Insomnia est différent,
et Nolan a de l'avenir.
Le film est loin d'être démonstratif, l'intrigue est
resserrée, elle ne tourne qu'autour de deux personnages, une
danse ouverte inscrite dans un cercle où deux damnés
se perdent à la lueur du jour. Ils ne ferment plus les yeux,
leur crime les souille. Il faut trouver un coupable, se disculper.
Nolan a bien cerné ses "héros", et même
s'ils s'opposent, ils appartiennent au même monde, celui de
la nuit. Le réalisateur ne fait aucune distinction entre Robin
Williams et Al Pacino, le tueur et le flic. Pacino s'en sort parce
qu'il a une conscience, il lutte ; Williams est un lâche. Deux
parties d'un même visage, éclairé, filmé
sous le soleil. Toute cette crasse et cette noirceur, enterrée.
Et à la surface, la beauté éclairée du
paysage, quel contraste ! C'est la grande force de ce film : avoir
filmé la nuit en plein jour. C'est une idée que Nolan
a repris du maître*, en la poussant plus loin, en l'intégrant
à l'histoire.
Le décor est superbe (du coup, les images aussi), et cette
séquence : une course près du port, sur des troncs d'arbres
flottants… magistrale.
Bien sûr on pourra reprocher
à Nolan certaines facilités, la répétition
sonore de la figure illustrant les insomnies de Dormer, un découpage
emprunté…mais bon, ce sont des détails, et Nolan les
gommera progressivement.
Aussi, et même si dans
l'œil de Pacino ne transparaît pas l'étincelle magique
qui avait sublimé L'impasse, Insomnia reste un grand
film noir, un grand film, tout simplement.
Christophe Lenoir
* Alfred Hitchcock avait décidé
de filmer une des séquences de son film - North by Northest
(La mort aux trousses) - de cette façon (filmer l'ambiance
de la nuit le jour). Elle est aujourd'hui dans toutes les mémoires,
c'est celle où Cary Grant court dans un champ, menacé
par un avion.
SIGNS.
Etats-Unis. Réalisation :M.Night Shyamalan. Avec Mel Gibson,
Joaquim Phoenix, Roy Culkin, Abigail
Breslin… Scénario : M.Night Shyamalan. Photo : Tak Fujimoto.
Musique : James Newton Howard. Production : M.Night Shyamalan, Frank
Marshall, Sam Mercer. Distribution: GBVI. Durée : 1H45.
Ca commence dans un champ,
avec cette étrange inscription...
Un signe qui divise le monde, il y aurait ceux qui y croient, et puis
les autres, qui n'y croient pas. Pour ce film, je me rangerai plutôt
du côté des autres.
Dommage, tout commençait bien : ce générique,
cette belle musique empruntée, les faux airs de Bernard Hermann
et l'ombre d'Hitchcock ; la course de Mel Gibson à travers
champs ; les chaussettes de Joaquim Phoenix… non, ça coûte
de l'argent le cinoche, il ne faut pas plaisanter. Alors ok, le travail
de toute l'équipe est parfait, on devine même que le
café devait être bon. Bravo pour l'ambiance et la tension
oppressante, parfois (superbe musique). On applaudit les acteurs et
leurs performances, la subtilité de leur jeu (excellent, comme
toujours chez les américains) ; les beaux yeux bleus de Mel.
Techniquement c'est balaise ; les ados ont adoré. Télé
sept jours colle les 3 sept (les 4 sont réservés aux
chef-d'œuvres, entendons les vieux films ; Signs devra attendre
quelques années), et les étoiles s'enchaînent
sur les autres magazines. C'était un signe, j'aurais dû
me méfier.
Bon à part le fait que
beaucoup de journalistes devraient changer de métier, il faut
bien reconnaître que le film est raté. Pire, il est niais.
La présence des extra-terrestres est un prétexte pour
planter un décor, suggérer une atmosphère, amener
une tension, déguiser le film. Un film travesti, c'est ça
Signs. La vraie histoire est celle de ce père de famille
qui vit dans une ferme avec ses deux enfants et son frère,
un pasteur qui a perdu la foi depuis la mort de sa femme.
On pouvait croire le film intéressant jusqu'à un certain
moment : Shyamalan élude la présence des hommes verts,
et mieux il se sert de la télé comme support pour mieux
nous faire croire au canular, du moins le croit-on, mais non, pas
du tout. Le réalisateur est sérieux quand il filme la
foi, il faut croire en quelque chose, s'y rattacher - même la
télévision peut aider les âmes en peine. A partir
de là tout s'effondre ; l'intrigue paranormale explose, il
ne reste que ce dénouement stupide où des bouts de phrases
prononcées par une mourante annoncent une fin "attendue"
pour Mel et les siens, c'est le fameux signe au cœur du film. Seulement
quand on ne croit plus en rien, on ne voit plus rien. Mel passe à
côté de tout, et il faut la venue de cet étrange
messie vert pour comprendre que tous ces signes avaient un sens, finalement.
Alors il se souvient, et cette phrase : "frappe fort !"
jaillit de sa mémoire. Ca y est, Mel est redevenu pasteur,
les méchants martiens sont repartis chez eux, et il neige autour
de sa ferme. C'est beau la vie quand on croit à quelque chose.
Donc rien à voir avec
Le sixième Sens, et le très bon Incassable.
Signs rejoint ses deux autres films tendance curé, Praying
With Anger et Wide Awake. Deux échecs !
Bon allez Night, la boucle est bouclée. On attend tous mieux
la prochaine fois. Un vrai Hitchcock là, ce serait pas mal.
Bon je sais, toutes ces lignes
pour dire ça, mais quand vous aurez vu le film, vous comprendrez,
et peut-être, qui sait, vous vous mettrez à croire aux
signes.
Christophe Lenoir